Mysore 2017

Je suis actuellement en Inde à Mysore, pour 2 mois de pratique auprès de Sharat R. Jois au KPJAYI (K. Patthabi Jois Ashtanga Yoga Institute), à la source de l’Ashtanga yoga.

Ce séjour a lieu à un moment bien particulier pour moi : depuis quelques temps, j’ai le sentiment de goûter à une certaine liberté.

Il y a 2 ans, mon compagnon et moi quittions nos emplois respectifs et Paris pour prendre du recul sur notre mode de vie, nos envies, nos inspirations. Poussés par nos convictions personnelles, politiques et écologiques, nous avions envie d”aller voir de plus près, de tester par nous-mêmes ce que nous soutenions et ce en quoi nous croyions. Yoga, permaculture, vie en auto-suffisance, randonnée en autonomie, mais aussi petits boulots, inconfort, doute…

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J’ai rencontré des professeurs de yoga dans différents pays, auprès desquels j’ai commencé une pratique quotidienne d’Ashtanga yoga, appelée pratique Mysore (nom de la ville où je me trouve aujourd’hui, berceau de cette méthode). Auparavant, je ne suivais que des classes guidées et j’avais commencé seule à dérouler mon tapis, afin de voir si mon affection pour le yoga deviendrait une relation personnelle et pas seulement liée à un professeur. La pratique Mysore, qui a lieu de préférence le matin, me semblait innaccessible, réservée à une élite de yogis chevronnés et contorsionistes : se lever tôt, se souvenir des asanas, pratiquer individuellement mais pourtant exposé au regard des autres élèves… On ne peut plus se cacher au fond de la classe et se laissant guider, on est face à soi-même. C’est une des premières barrières que mon voyage m’a permis de briser : il n’est pas question de niveau, mais plutôt de méthode. La pratique Mysore, à la différence des led classes, est un enseignement personnalisé entre le professeur qui s’adapte et transmet individuellement à chaque élève les postures les unes après les autres, en fonction de son niveau mais aussi lorsqu’il estime que l’élève est prêt. On apprend à intérioriser sa pratique, à la gérer dans le temps pour l’intégrer à son rythme journalier sans s’épuiser, à rechercher à s’aligner avec soi-même, à se découvrir. C’est une méditation en mouvement quotidienne et intense, qui demande de la régularité, de l’investissement. Le début a été dur, mais les changements physiques, psychologiques et spirituels en valent la peine. Depuis, elle ne m’a pas quitté et est entrée dans ma routine quotidienne. Je l’ai emmené au fil de notre voyage, lorsque nous avons vécu dans des cabanes dans les bois sans eau ni électricité, dans des chambres et des couloirs d’hôtel, sur la plage, puis au retour avant d’aller au bureau, lorsque j’avais un emploi du temps stressant et chargé… Chaque pratique est différente et n’a pas la même intensité. Parfois l’esprit est embrouillé, en proie aux fluctuations quotidiennes du mental, d’autres fois c’est notre corps qui nous fait défaut et qui nous invite à rester au lit. Nous mettons en place une relation nouvelle avec nous-même chaque jour, pour prendre le temps de s’écouter, se centrer, s’aligner.

Au fil des rencontres, du yoga et de l’étude du Soi, je me suis rendue compte que je n’étais pas faite pour une vie de bohème à long terme. Plutôt que de changer radicalement de vie, j’avais plutôt envie de changer la manière dont je vivais. Après une dizaine d’années à régulièrement déménager et travailler uniquement pour des missions à court terme (par choix), j’aspirais à poser mes valises. Il aura fallu que je parte très loin pour me rendre compte qu’il était temps pour moi de m’enraciner ici.

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Ce voyage a été riche en apprentissage et découverte, mais je me suis parfois sentie frustrée ou influencée par ce qu’il fallait voir, ce qu’il fallait faire et comment le faire. On utilise l’expression “Ticking Off the Bucket List” en anglais, c’est-à-dire cocher les choses qu’on a faite sur la liste de nos envies : et hop, un selfie ici, un post là-bas ! Cette expression me semble représenter une certaine vision contemporaine du tourisme. Je me suis même parfois demandée si ce voyage en lui-même était mon propre rêve ou celui d’une génération. Celle qui ne se retrouve plus dans des emplois précaires, un mode de vie sur-consommateur, des politiques corrompus et qui part en quête de nouveaux modes de vie, de nouveaux modèles plus inspirants. A force de voir défiler sur les fils d’actualités des réseaux sociaux des photos de paradis perdus, n’avais-je pas été moi-même conditionnée par une certaine idée de ce à quoi devait ressembler la liberté? Se trouve-t-elle vraiment à des milliers de kilomètres de chez nous, sur une plage déserte de sable blanc ou au sommet d’une montagne enneigée?

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De retour en France, j’ai pris environ 1 an pour digérer cette expérience, prendre des décisions qui allaient dans le sens de mes inspirations et aspirations. Il aura aussi fallu que j’exerce le métier dont j’aurais rêvé il y a quelques années pour me rendre compte qu’il ne correspondait tout simplement plus à qui j’étais aujourd’hui et à la vie que je désirais mener. Il n’est pas si évident de se délester du poids de la culpabilité : ce que la société attend de nous, ce que nos proches attendent de nous, ce que nous attendons de nous-mêmes.

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Aujourd’hui, je sens une légère brise de liberté souffler sur mon visage. Peut-être parce-que je commence tout doucement à vivre ma vie comme je le décide, et non plus comme il faudrait que je la vive.

Me voici aujourd’hui à Mysore avec mon compagnon, à étudier à la source de l’Ashtanga yoga. Il y a encore un an, ce voyage m’aurait semblé inaccessible. Il est aujourd’hui à portée de main et nécessaire pour moi, passionnée par cette discipline et commençant à la partager en enseignant.

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Je ne savais pas quoi attendre de mon séjour. J’avais entendu le pire comme le meilleur à propos de l’Institut et de son directeur. C’est une des raisons pour lesquelles j’avais envie de me faire ma propre opinion.
Je pensais me “reposer” en pratiquant à mon rythme la première série que je connais bien, sachant que les asanas sont attribués difficilement, qu’il faut être patient et donner pas moins que le meilleur de soi-même. Pourtant, dès le premier jour la pratique a été bien plus intense que je ne l’imaginais. J’explore des aspects que j’avais oublié ou méprisé au profit d’une volonté de toujours aller un peu plus loin dans les séries et découvrir de nouveaux asanas. Je me concentre sur les bandhas (contractions musculaires), la respiration, les dristis (points d’attention du regard), les transitions, l’alignement…
J’ai le loisir de m’y consacrer passionément chaque matin, puis de me reposer et d’étudier le reste de la journée, ou bien de passer des heures autour d’un déjeuner si le coeur m’en dit. Ce n’est pas que de l’oisiveté, c’est aussi le luxe d’un apprentissage de l’ici et maintenant. J’essaie de profiter de chaque instant de ce voyage à la source de l’Ashtanga mais plus généralement du yoga. L’Inde est un pays fascinant, où les sens et les émotions sont en éveil, aussi bien ravis par les délices culinaires qu’asphixiés par la pollution, bercés par le brouhaha et le rythme de la vie de proximité, qu’écoeurés par la saleté, décontenancés voire parfois agacés par les regards insistants.
D’abord sceptique, je comprends aujourd’hui les étudiants qui reviennent chaque année étudier au KPJAYI. Il y a quelque chose de spécial ici, difficile à expliquer avec les mots justes. L’enseignement exigeant mais juste et attentif de Sharat R. Jois est unique.

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Je ne me suis jamais vraiment reconnue dans l’idée de communauté, souvent fatiguée par l’opinion générale d’un groupe, parfois apeurée aussi bien par son inertie que par sa puissance d’action. J’ai souvent l’impression qu’elle peut nous empêcher d’être alerte, de garder un esprit critique et nous rend parfois même stupide. Le yoga n’échappe malheureusement pas à cette règle. Nous devons nous rappeler chaque jour de ne pas tomber dans la facilité des lieux communs, des idées préconçues et flatteuses. Mais l’énergie dégagée par l’enseignement et les pratiquants du shala (studio) nous tranporte, même si nos points communs n’iront pas toujours au delà du tapis.

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